Marché du cycle : décryptage et opportunités

Alors que 2024 est une grande année sportive, la Petite Reine sera à l’affiche cet été avec le Tour de France, mais aussi lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Dans cette émission, il sera question de la filière du cycle en France. Combien de vélos sont-ils fabriqués en France ? Mais peut-être devrions-nous dire assembler ? En effet, l’industrie du cycle tricolore se positionne davantage comme un assemblier, avec des composants en provenance d’Asie. Mais depuis la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, des opportunités pourraient se présenter aux entreprises de mécanique dans un contexte de réindustrialisation ? Avec l’analyse de deux experts, nous décryptons les enjeux de la filière du cycle, qu’il s’agisse de vélos électriques ou musculaires.

C’est à découvrir dans “Machines Production L’Émission”.

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Décryptage

Nous recevons deux invités :

Olivier Sciascia, ingénieur consultant chez S.C.I.A
Bérenger Alexandre, cofondateur d’Alpin Components

Sur notre plateau de Boulogne-Billancourt, ils évoquent :

    • La production de vélos en France
    • Le retour en grâce du vélo après la crise Covid
    • La fabrication des composants mécaniques
    • La rivalité avec les entreprises asiatiques
    • La difficulté de fabriquer des cadres en France
    • Le rôle clé de l’innovation dans les produits et process

 

Quel est le nombre de vélos produits chaque année en France ?

Olivier Sciascia. A peu près un peu plus de deux millions et demi de vélos sont vendus sur le territoire français, toutes filières confondues. Sachant que, dans ces deux millions et demi et un peu plus, on a, à peu près, un tiers d’électrique tout type confondu également, et on a aussi à peu près un tiers qui sont produits en France, mais je vais mettre beaucoup de guillemets autour de cela, parce qu’ils sont surtout assemblés sur le territoire français.

Que représente le marché du cycle en France ?

O. S. Entre 250 et 300 fabricants, avec de grands acteurs comme Decathlon, Intersport et leurs filiales, qui sont des fabricants français de vélos ou au moins des concepteurs. Parce que, en fait, un fabricant de vélo, c’est d’abord un concepteur, souvent passionné, qui s’est adapté aux nouveaux usages du cycle. Un concepteur, voire un importateur. Assemblier est le principal métier des fabricants de vélos en France, allant de la start-up à la PME. On rencontre aussi une kyrielle d’artisans ou de start-up qui démarrent, avec, pour les plus petits acteurs, la production d’une centaine de vélos par an, des fois beaucoup moins, jusqu’à quelques milliers de vélos, mais qui n’ont pas encore atteint un stade d’industrialisation de leur produit, qui reste plutôt dans le segment du haut de gamme.

La crise sanitaire liée au Covid-19 a-t-elle redynamisé la filière en France ?

O. S. La filière a d’abord été déstabilisée, parce qu’il y a eu une coupure instantanée des importations asiatiques, qui a mis en difficulté un grand nombre de fabricants de vélos. Il y a eu des dépôts de bilan, des rachats, par le simple fait que la trésorerie, quand on fabrique des vélos, et que l’on doit commander des composants en Asie et les payer à l’avance, ça peut tuer une activité, et ça en a tué pendant la période Covid.

Avez-vous ressenti une croissance du marché après la crise sanitaire ?

Bérenger Alexandre. Il y a eu un boom au niveau du marché du vélo, avec une très forte demande. Les consommateurs ont éprouvé le besoin de pouvoir pratiquer le vélo, notamment en raison des problématiques, liées à des risques sanitaires, dans les transports en commun. Puis, il y a eu l’arrivée des beaux jours. Bref, il y a eu tout un faisceau de choses qui ont permis de booster le marché. Alors, nous avons observé une grosse tension sur le marché, avec la volonté d’accélérer les ventes afin de pouvoir combler cette demande qui était très forte. On a pris conscience qu’il fallait peut-être reproduire en local des composants afin de répondre plus rapidement à la demande et fiabiliser l’approvisionnement pour l’assemblage des vélos, en zone euro et en France. C’est dans cette perspective que nous avons décidé de créer Alpin Components, en novembre 2022, afin d’accompagner des projets en France et en Europe, avec des composants fabriqués ici en vallée de l’Arve [Haute-Savoie].

Alpin Components est d’abord spécialisée dans l’ingénierie et l’expertise industrielle en composants du cycle. Mais où fabriquez-vous vos produits ?

B. A. Nous avons la chance d’être accompagné par l’entreprise Décolletage des Grands Clos, à Magland. Il s’agit d’une PME d’à peu près 10 millions de chiffre d’affaires, qui possède plusieurs usines et qui nous accompagne dans l’industrialisation de nos produits que nous fournissions aux fabricants et assembleurs de vélos.

Quelles sont les entreprises qui dominent le marché des composants mécaniques en France ?

O. S. Sur le plan des composants, nous rencontrons des équipementiers et des sous-traitants. Chez les équipementiers, il s’agit de pièces ayant des fonctions, telles que le freinage et l’élément moteur pour un grand nombre d’acteurs mondiaux essentiellement asiatiques, qui dominent le marché. Dans le domaine de la sous-traitance, on va trouver des composants du même type que fabrique Alpin Components, qui sont une véritable niche et sur lesquels nous avons un savoir-faire important en France, et où notre part de marché dans la sous-traitance n’est pas négligeable, mais avec des volumes qui sont extrêmement faibles, bien que des sous-traitants asiatiques soient également hyperactifs.

Comment la filière du cycle en France doit-elle s’organiser pour être davantage performante face à la concurrence asiatique ?

O. S. Le marché se divise en deux parties. Le marché du vélo haut de gamme, voire très haut de gamme, que nous maîtrisons parfaitement en France, avec une frange de clientèle qui est capable de mettre plus de 5 000 euros dans un vélo. L’autre marché est celui de la mobilité verte, avec un vélo autour de 2 000 euros.

Chez Alpin Components, l’innovation est la clé du succès ?

B. A. Pour faire du haut de gamme, il faut se démarquer avec l’innovation. Nous avons déposé des brevets sur un nouveau système de roue libre à Ratchet, afin de fiabiliser l’engagement de la roue libre, notamment avec les e-bikes. Nous avons observé que sur la pratique du e-bike, il y avait énormément de couple qui s’appliquait sur le moyeu. Et ces moyeux aujourd’hui n’apportent pas l’entière satisfaction, avec des problèmes de débrayage au niveau de la roue libre. C’est la raison pour laquelle nous avons développé un nouveau système, protégé par un brevet. L’idée chez Alpin Components, c’est d’aborder le marché en amenant une innovation par rapport à un besoin client. Avec la pratique du VAE [vélo à assistance électrique], nous avons pu constater qu’il existait des contraintes, que ce soit sur le cadre, la transmission, les freins. Avec nos moyeux, nous sommes arrivés à des niveaux de fiabilité, qui n’ont encore été jamais rencontrés par le marché. Pour cela, nous avons travaillé avec des laboratoires, qui ont certifié que notre système était vraiment au niveau de la fiabilité et de l’endurance, vraiment très au-dessus de ce qui est proposé aujourd’hui sur le marché. Donc, on est très confiant pour l’avenir.

Fabriquer un cadre de vélo en France, c’est compliqué, du moins de le produire de manière compétitive ?

O. S. Nous avons su fabriquer des cadres de vélos jusqu’aux années 1970, voire début 80. Sauf que ce ne sont plus les vélos d’aujourd’hui, qui présentent un design particulier, un look que n’avaient pas le vélo que j’utilisais lorsque j’étais à l’école primaire. Les temps ont changé et les besoins aussi. Aujourd’hui, en France, on sait faire des cadres, techniquement, mais seulement sur des volumes qui sont faibles. On sait faire des cadres autour de 400 euros, ce qui correspond plutôt à des modèles haut ou moyenne de gamme. Sauf que la majorité des vélos sont fabriqués à partir de cadres asiatiques en aluminium. Et le prix d’un cadre vendu en Europe, c’est autour de 150 euros.

C’est quoi alors la solution ?

O. S. Elle va s’imposer à nous puisque nous devons diminuer notre empreinte carbone, et faire voyager à travers la planète un cadre de vélo ou un vélo entier, c’est pratiquement la même chose, puisqu’ils sont produits en Asie, augmente considérablement cette empreinte carbone. La solution viendra grâce à l’automatisation.

Qu’est-ce qui peut être automatisé ?

O. S. Les composants d’une part, qui sont pour la plupart usinés sur des machines-outils. Là, on sait très bien faire cela, en France et plus particulièrement dans la vallée de l’Arve. Ce qui est un plus complexe, c’est l’automatisation du soudage, parce qu’aujourd’hui, comme je le disais tout à l’heure, un vélo, ça a un look et ça n’a surtout pas le look des années 1970. Donc il faut savoir souder des choses un peu compliquées. Il faut savoir automatiser un soudage de formes complexes, ce qui n’est pas forcément simple. Mais si on ne s’attelle pas au sujet, on n’y arrivera jamais.
Et il faut également arriver à convaincre les grands donneurs d’ordre français à ce qu’ils prennent la voie de la fabrication française et de mettre sur la table des moyens qui seront forcément des moyens aidés par les pouvoirs publics. Parce que ce qui a été délocalisé il y a 30 ans l’a été avec des fonds publics des pays qui ont accueilli ces productions. Si on veut les ramener, il va aussi falloir mettre de l’investissement en conséquence. Un investissement qui sera forcément dédié à des machines hautement automatisées pour réaliser les productions dont on a besoin, parce qu’on est sur de gros volumes. Il y a plus de vélos qui sont vendus en France que d’automobiles qui sont fabriqués sur le territoire, aujourd’hui. Deux millions et demi de vélos vendus, moins de deux millions de voitures fabriquées en France. Donc on devrait quand même y arriver.

Sur quels nouveaux projets travaillez-vous chez Alpin Components ?

B. A. Nous travaillons sur une nouvelle typologie de valve, qui permet d’augmenter le débit d’air. Aujourd’hui, avec la pratique du vélo de sport, qui ce soit sur route ou en VTT, avec l’apport du tubeless, la fonction de la valve Presta historique ne correspond plus aux besoins actuels du marché. Donc, nous allons nous positionner en tant que fabricant de valves UST haut débit. Notre valve Sealant va permettre d’améliorer la pratique et l’utilisation des pneus UST, grâce l’étanchéité de tout le système, évitant à la valve de se boucher, avec pour conséquence d’augmenter le débit d’air de manière très significative.

Vos composants équipent-ils des vélos des coureurs du Tour de France ou d’athlètes des Jeux olympiques et paralympiques de Paris qui s’approchent ?

B. A. En effet, nous pouvons dire qu’un des potentiels vainqueurs du Tour de France roule avec nos pièces fabriquées dans la vallée de l’Arve, notamment des systèmes de transmission de la roue libre par Ratchet. Il s’agit de Tadej Pogačar.

Intervenants

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Olivier SCIASCIA

Consultant

S.C.I.A.

Portfolio

Bérenger Alexandre

Cofondateur

Alpin Components

Portfolio

Jérôme Meyrand

Machines Production

Rédacteur en Chef

Portfolio

Patrick Cazier

Machines Production

Rédacteur