« Reprise en main », un film avec le décolletage comme toile de fond
Le premier long-métrage de Gilles Perret, auteur du documentaire Ma mondialisation, raconte l’histoire d’un salarié d’une PME de la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, qui va tenter l’impossible pour faire échouer le rachat de l’entreprise par un fonds d’investissement.
Une fiction avec en toile de fond une entreprise de décolletage. Après son documentaire Ma mondialisation, sorti au cinéma en 2006, et qui avait fait grand bruit dans la vallée de l’Arve, où il était question de délocalisation et de fonds de pension à l’assaut d’une industrie prometteuse, le réalisateur haut-savoyard Gilles Perret passe à la fiction.
Reprise en main, qui sortira sur les écrans le 19 octobre, est une comédie dramatique qui raconte l’histoire d’un salarié qui veut ôter des griffes d’un nouvel investisseur l’entreprise de mécanique de précision pour laquelle il travaille. Surtout que cette PME de la vallée de l’Arve, rachetée une première fois par un fonds d’investissement, ne parvient toujours pas à trouver la rentabilité nécessaire à sa survie. Epuisé d’avoir à dépendre de spéculateurs cyniques, Cédric (incarné par Pierre Deladonchamps), aidé par des amis d’enfance, tente de racheter l’usine pour la remettre aux mains des autres salariés. Pour cela, Cédric et ses amis vont se faire passer pour des financiers.
Tournage entre Marnaz et Cluses
Né en 1968 en Haute-Savoie, Gilles Perret, qui connaît bien la vallée de l’Arve, puisqu’il a travaillé comme ingénieur dans des usines de décolletage, a tourné, durant l’été 2021, sur les communes de Marnaz (usine), Scionzier (bureaux, Bobby bar) et Cluses (hôpital, rues…).
Après vingt ans de documentaires orientés sur la défense des travailleurs et les préoccupations sociales, Gilles Perret a opté cette fois pour le cinéma, car, pour ce fils d’ouvrier, il était impossible « de raconter cette histoire autrement que par la fiction ». Et d’expliquer que « ce sujet aurait été difficile à traiter en documentaire, les personnes interviewées auraient pu se mettre en danger vis-à vis de leurs clients ou leurs patrons ». En coécrivant ce film avec sa compagne Marion Richoux, Gilles Perret a ainsi pu « mettre dans la bouche des acteurs » ce que ses interlocuteurs lui auraient confiés dans un documentaire.
« La finance mène la danse »
Le réalisateur a souhaité « mettre de l’humain dans des stratégies financières ». Avec Reprise en main, il a donc voulu « montrer des gens qui relèvent la tête justement, qui peuvent être tout aussi malins que les financiers ». Cédric et ses acolytes comprennent que « la finance mène la danse alors ils retournent l’outil contre elle en utilisant ses propres armes », explique Gilles Perret.
Alors qu’au lendemain de la crise des subprimes plusieurs fonds de pensions s’étaient retirés des entreprises de décolletage, laissant aux acquéreurs (quand il y en avait), souvent des PME familiales, des ateliers à bout de souffle, faute d’investissement dans l’outil de production, le réalisateur a voulu, à son tour, impulser un souffle d’optimiste sur cette vallée industrieuse. Avec Reprise en main, Gilles Perret démontre « qu’il existe en France une industrie performante ». Et de poursuivre, en dressant le constat amer d’un pays sans usines : « Pourtant, ça fait trente ans qu’on nous fait croire que l’industrie est finie, qu’il n’y a plus d’ouvriers, que les Français sont nuls, tout en modifiant les règles pour que l’industrie puisse partir. Il y a eu une irresponsabilité dramatique de la part des responsables politiques. Comment a-t-on pu laisser croire aux gens qu’un pays allait pouvoir vivre sans produire ? C’est ahurissant. On en paie le prix cher aujourd’hui. »
« Une vallée high-tech »
L’auteur de Ma mondialisation, qui dressait, il y a 16 ans, le portrait d’une industrie du décolletage coincée entre délocalisation et financiarisation, diffuse, dans son premier long-métrage, l’idée que nous possédons en France les savoir-faire et les compétences pour arriver à produire des pièces complexes d’une grande qualité. « La vallée de l’Arve est une vallée high-tech, dit-il, avec des gens malins qui vendent des pièces à des constructeurs automobiles américains, chinois ou européens. » Mais de pointer qu’une « majeure partie des entreprises appartient maintenant à des fonds d’investissement ou à des groupements mêlant banques et industriels ». Et de déplorer, que « la finance s’est installée partout où il y a de l’argent à ponctionner et, évidemment, c’est d’autant moins qui va dans la poche des travailleurs », s’emporte le documentariste engagé.
Reprise en main est un film porté par un réalisateur qui, un temps, a lui aussi travaillé dans le décolletage. Ingénieur de formation, Gilles Perret dit avoir débuté sa « première » vie professionnelle dans l’usine qui sert de décor au film. « C’est l’usine d’un copain, j’y ai installé des machines », glisse celui qui évoque également ses parents, ouvriers dans des usines de décolletage. « C’est un milieu bien plus familier pour moi que celui du cinéma. Au lycée, on était tous prédestinés à être responsables d’atelier dans ces usines-là, mes copains étaient fils de patrons ou fils d’ouvriers, cette histoire d’amitié dans le film, c’est un peu la mienne », raconte le réalisateur.